La tante de mon père, Victoire Lablancheur, était une Cafrine bien introduite dans le milieu mondain. Elle avait des entrées un peu partout et connaissait des gens importants. Elle avait hérité du terrain où nous vivions. Elle préparait une marmite, prélevait pour elle et nous donnait souvent le reste du contenu. Nous avions beaucoup de bouches à nourrir, notre grand-mère (la maman de maman) vivait aussi avec nous. . Nous mangions le riz de la veille. « Mémain » c’est ainsi qu’on appelait la tante, apportait sa marmite et tous se régalaient.
On ne mangeait pas de viande tous les jours. On nous envoyait parfois au marché couvert (celui qui est toujours en centre ville et abrite désormais de l’artisanat malgache). Là, on prenait « des petites viandes », viande de deuxième choix qu’on enlevait des grandes pièces, mais tout aussi bonne.
Axel, un oncle, travaillait à l’abattoir et nous rapportait parfois des morceaux de bœuf ou de cochon. Il fournissait plusieurs bouchers. Je me rappelle qu’il allait régulièrement au Port pour chercher de la viande de bœuf en camionnette.
Un jour, il s’est fait arrêter par un gendarme et on lui a demandé son permis de conduire : il a répondu qu’il conduisait depuis des décennies. Et qu’il n’a jamais passé de permis…
Le marché où on pouvait acheter de la viande dans les années 60
C’est inconcevable en 2025, mais dans les années 60 les situations racontées ci-dessous étaient courantes en métropole et à la Réunion.
L’enfant se trouvait responsabilisé très vite, il devait s’occuper des siens pour prêter main forte à la famille. Parfois pour s’occuper de la fratrie (récit de Marie – Ange), parfois pour s’occuper des parents (récit de Dauphin)
L’éducation incluait les valeurs chrétiennes de charité … mais il est vrai que ça arrangeait bien les adultes, et rendait les « marmailles » fiers de participer. Cela devait aussi peser aux marmailles car cette occupation limitait leur temps de jeu.
« Comme j’étais la plus grande, je devais m’occuper de la fratrie…Très jeune, on m’a confié la tâche de m’occuper de mes frères et sœurs, comme j’étais l’aînée. Maman s’occupait des repas, mais moi je devais faire la lessive, laver les enfants, les habiller… À l’âge de 14-15 ans j’avais déjà l’habitude de m’occuper de bébés. » (M. Ange)
« En 1952, ma grand-mère J. était assise sur un petit banc dans sa petite cuisine près du feu et nous préparait du café quand elle a fait un AVC. Elle était seule, j’ai réagi immédiatement et ai appelé les secours. Mais elle est restée paralysée. Pendant que ma mère partait travailler, j’avais sa garde et celle de mes petits frères. Je n’avais que 6 ans ! Je faisais à manger, je nettoyais la cour… » (Dauphin)
7 décennies plus tard Marie Ange s’occupe toujours des siens, moins de la fratrie, mais cette fois-ci davantage des enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants. Son plaisir est de cuisiner pour eux…et Dauphin est devenu infirmier libéral avant de prendre sa retraite.
Des vies consacrées aux autres… mais aussi à la musique et aux amis !