expliquées par notre ami Gérard Canabady ...
"Le grand moment restait le passage de l'année. Ici les rituels familiaux (familles riches ou des classes moyennes) étaient très importants. Chaque chef de famille emmenait sa famille visiter les aînés et réciproquement. Aussi, chaque visite était ponctuée de repas interminables familiaux avec nombre de convives. Il s'agissait de déjeuners qui s'achevaient d'un seul trait en dîner. Le trait marquant est l'omniprésence de la viande, signe de richesse et de réussite. D'une manière ou d'une autre, le porc était central, ou bien on tuait le cochon pour l'année, ou bien on le vendait pour acheter les produits pour fêter l'année. Souvent, on faisait les deux. On tuait un cochon et en vendait un autre ou bien une partie était destinée à la consommation et l'autre à la vente. Chaque famille et surtout chef de famille, montrait sa spécialité au moment du repas. Un tel préparait du fromage de tête, un autre le boudin, un autre le graton, un tel les saucisses, voire le saucisson à l'ail, un autre les côtelettes et rôtis, mais le clou était le PÂTÉ CRÉOLE. Le meilleur pâté assurait à son cuisinier une réputation qui devait dépasser les générations...
Evidemment, les volailles avaient aussi leur place sur les tables. Progressivement, des plats de luxe locaux trouvèrent leur place, notamment le palmiste et les galantines (plutôt pour les mariages, baptême ou communions). Le plat de roi était la salade finement "triée" à la main, en général les plus jeunes apprenaient comment faire avec les anciens (euh ça restait tout de même une corvée...). L'alcool qui marquait cette saison de l'année était la "Marie Brisard" dégustée pure et sans glaçon. Le petit verre de liqueur de Marie Brisard dans lequel on pouvait tremper son petit morceau de pâte créole était un plaisir attendu longuement. D'autant plus longuement, qu'il fallait là aussi, respecter une tradition immuable. Une fois la liqueur et le pâté distribués, tout le monde se levait pour se souhaiter une bonne année dans un ordre strict : les plus jeunes vont vers les plus anciens. Une fois les sermons prononcés, les vœux dits, et parfois quelques étrennes distribuées (un petit billet en général pour les plus jeunes), on pouvait apprécier le pâté. Une précision, la plupart du temps on jauge le pâté en main, on le hume, on le repose sur la table et ON EN PARLE... Après seulement, on le mange...
Une fois le repas terminé, la famille qui rendait visite rentre chez elle et attend les visites des membres de la famille, notamment la famille qui a été visitée. Evidemment, on repartait pour un autre repas que chacun voulait encore plus fastueux et riche en viande... Progressivement, les basse-cours ont eu des volailles. D'abord ce furent des poulets et canards, puis pintades, oies et dindes. Je vous laisse imaginer comment les tables se sont garnies en conséquence en civet (à l'Ile Maurice, l'ancien nom français salmis a été gardé) et rôtis. Précisons que les rôtis n'avaient que peu de choses en commun avec leurs homonymes européens. Les rôtis n'étaient finalement pas rôtis au four (car beaucoup n'avaient pas de four) mais cuits à la marmite et délicieusement farcis d'épices (ail, girofles, muscade, thym,...). Le fin du fin était leur sauce, notamment le fond de sauce que nommé "la marc" (comme le marc de café). A propos de café, il était inévitable, cueilli sur la propriété ou dans le fond de la cour, et grillé souvent par une vieille tante. Il était coulé précieusement et dûment sucré (pour montrer que la récolte avait été bonne).
Les carris étant plutôt des plats ordinaires, aussi eurent-ils un temps d'absence lors de ces fêtes qui se voulaient une rupture avec le quotidien. Mais ces plats surent quand même se faire une place, notamment l'authentique "carri canard". Evidemment, ces animaux étaient sélectionnés de longue date en avance, on les soignait avec amour et on les dégustait avec non moins...d'amour. Le bien-être animal, cher aux environnementalistes, était apprécié au fond de...l'estomac. Souvent, c'était aussi l'occasion d'un petit pécule puisque plusieurs mois à l'avance les gens (de la ville) venaient choisir leurs animaux et les achetaient au moment des fêtes, une fois bien engraissés (au maïs évidemment et non au rabatto !)
Toutefois, ces traditions pleines de saveur variaient en fonction du culte de chaque famille. Beaucoup de familles chinoises travaillaient en début d'année car elles se réservaient pour le Nouvel An de leur calendrier. En outre, travailler le 1er de l'An était perçu comme un signe de bon augure et de prospérité. D'autres comme les Hindous choisissaient de laisser passer la première semaine de l'année avant d'ouvrir ces visites festives. Un certain nombre de cérémonies religieuses exigeaient un strict carême incompatible avec cette cascade de victuailles. Leurs repas se trouvaient finalement enrichis de cabris préparés sous diverse forme. bref, une occasion supplémentaire d'enrichir la table en viande...
Les desserts traditionnellement sucrés y avaient encore plus droit de tablée, notamment les silnis (connus sous le nom de "bonbons de miel" ou ""bonbons casse-contour"). C'est un beignet en forme de serpentin trempé dans 3 à 5 litres de sirop de sucre (et non miel comme son nom ne l'indique pas) aromatisé de cardamome et d'une gousse de vanille.
Autant de souvenirs savoureux illustrant les délices des repas traditionnels réunionnais qui ont marqué notre enfance..."
Amicalement,
Gérard Canabady