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3 novembre 2009 2 03 /11 /novembre /2009 11:13

En feuilletant l’Album de la Réunion, de Roussin, je suis tombée sur un texte de cet illustrateur qui y décrit la Ravine Saint Gilles et insère un poème de LECONTE DE LISLE décrivant  l’endroit il ya plus de cent ans.  Je vous livre ici le premier des 16 quatrains.

« La gorge est pleine d’ombre, où sous les bambous grêles,

Le soleil au zénith n’a jamais resplendi

Où les filtrations des sources naturelles

S’unissent au soleil enflammé de midi… »
(voir le texte plus loin)

 

Quand on compare le texte du poète parnassien avec le tableau actuel de ce lieu idyllique, on peut y trouver des similitudes, mais aussi des différences. D’où l’intérêt de textes poétiques qui peuvent être de précieux témoignages. Voilà mes observations !


                  
          liane en treillis                                                             bambous

Dans la ravine, les blocs noirs et la liane en treillis, font toujours partie du paysage.
Et quel changement concernant les « bambous grêles » ! Ils n’ont plus la fragilité que leur prête le poète. Aujourd’hui,  ce sont des tiges monstrueuses, gigantesques sur lesquelles les promeneurs amoureux ont gravé leurs initiales au risque de faire périr les plantes.

Cependant, on n’y côtoie plus les vertes perruches, ni les cailles, ni les martins. Les premières ont disparu à tout jamais de l’île et les autres ont déserté l’endroit pour d’autres biotopes de la Réunion. Le paille en queue, ce fabuleux oiseau marin blanc très fin, à longue queue, qui niche dans les ravines a survécu grâce à la protection des amis de la nature.

« Le vol du paille en queue, flocon de neige et point lumineux qui palpite sur l’horizon »
reste toujours un spectacle inoubliable !



Aujourd’hui ce sont des tisserins jaunes qui ont colonisé la ravine et qui dégarnissent les arbres en construisant une multitude de nids, ainsi que des pigeons  blancs et noirs qui ont élu domicile dans les anfractuosités des roches.


              nids de belliers, oiseaux bâtisseurs

A disparu également le berger noir. Plus de troupeaux de bœufs de Tamatave, donc plus de berger ! Et si on devait voir un berger, ce ne serait certainement plus celui qui chante son air saklave, l’abolition de l’esclavage étant heureusement passé par là en 1848. Mais on a du mal à imaginer que des troupeaux paissaient ici dans ce lieu envahi par la végétation. N’empêche que deux cases ont été construites dans la ravine et l’une d’elles semble habiter. Peut-être y vit –on de l’élevage ?

                          
Peut-être qu’en  restant plus longtemps à proximité de ces bassins on rencontrerait de grands papillons aux ailes magnifiques, des chats rôdeurs,  des sauterelles et des lézards, mais pour ce que nous avons constaté, cette vie a disparu de la ravine.

 

La ravine Saint-Gilles

La gorge est pleine d'ombre où, sous les bambous grêles,
Le soleil au zénith n'a jamais resplendi,
Où les filtrations des sources naturelles
S'unissent au silence enflammé de midi.

De la lave durcie aux fissures moussues,
Au travers des lichens l'eau tombe en ruisselant,
S'y perd, et, se creusant de soudaines issues,
Germe et circule au fond parmi le gravier blanc.

Un bassin aux reflets d'un bleu noir y repose,
Morne et glacé, tandis que, le long des blocs lourds,
La liane en treillis suspend sa cloche rose,
Entre d'épais gazons aux touffes de velours.

Sur les rebords saillants où le cactus éclate,
Errant des vétivers aux aloès fleuris,
Le cardinal, vêtu de sa plume écarlate,
En leurs nids cotonneux trouble les colibris.

Les martins au bec jaune et les vertes perruches,
Du haut des pics aigus, regardent l'eau dormir,
Et, dans un rayon vif, autour des noires ruches,
On entend un vol d'or tournoyer et frémir.

Soufflant leur vapeur chaude au-dessus des arbustes,
Suspendus au sentier d'herbe rude entravé,
Des boeufs de Tamatave, indolents et robustes,
Hument l'air du ravin que l'eau vive a lavé ;

Et les grands papillons aux ailes magnifiques,
La rose sauterelle, en ses bonds familiers,
Sur leur bosse calleuse et leurs reins pacifiques
Sans peur du fouet velu se posent par milliers.

À la pente du roc que la flamme pénètre,
Le lézard souple et long s'enivre de sommeil,
Et, par instants, saisi d'un frisson de bien-être,
Il agite son dos d'émeraude au soleil.

Sous les réduits de mousse où les cailles replètes
De la chaude savane évitent les ardeurs,
Glissant sur le velours de leurs pattes discrètes
L'oeil mi-clos de désir, rampent les chats rôdeurs.

Et quelque Noir, assis sur un quartier de lave,
Gardien des boeufs épars paissant l'herbage amer,
Un haillon rouge aux reins, fredonne un air saklave,
Et songe à la grande Île en regardant la mer.

Ainsi, sur les deux bords de la gorge profonde,
Rayonne, chante et rêve, en un même moment,
Toute forme vivante et qui fourmille au monde
Mais formes, sons, couleurs, s'arrêtent brusquement.

Plus bas, tout est muet et noir au sein du gouffre,
Depuis que la montagne, en émergeant des flots,
Rugissante, et par jets de granit et de soufre,
Se figea dans le ciel et connut le repos.

À peine une échappée, étincelante et bleue,
Laisse-t-elle entrevoir, en un pan du ciel pur,
Vers Rodrigue ou Ceylan le vol des paille-en-queue,
Comme un flocon de neige égaré dans l'azur.

Hors ce point lumineux qui sur l'onde palpite,
La ravine s'endort dans l'immobile nuit ;
Et quand un roc miné d'en haut s'y précipite,
Il n'éveille pas même un écho de son bruit…

 
(j'ai volontairement coupé les derniers quatrains qui n'ont pas d'intérêt descriptif)

Charles LECONTE de LISLE (1818-1894)

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